28 Janvier – 2020-2021 Séminaire "Limites et biais de l’expertise dans la recherche en épidémiologie sociale et environnementale : quelle place pour la pensée critique ?"

18 h A distance

Séminaire "Limites et biais de l’expertise dans la recherche en épidémiologie sociale et environnementale : quelle place pour la pensée critique ?"

animé par Stéphanie VANDENTORREN

 

L’expertise est une zone hybride entre sciences et politique qui n’a ni de réel statut ni de définition clairement établie. Le rôle donné aux comités d’experts est de donner une réponse « scientifique et neutre » sur une question posée dans le champ technique, social, politique. Cette attente me questionne pour plusieurs raisons que j’illustrerai par des exemples issus de mon parcours professionnel dans les champs de l’épidémiologie environnementale et/ou sociale.
D’une part, la « surspécialisation » souvent inhérente à l’expertise qui est par nature restreinte à un champ de connaissances délimité, entrave la compréhension des enjeux dans leur globalité, et la compréhension des phénomènes au travers de leurs interactions. La façon de poser la question, les critères de sélection des experts, la méthodologie employée et les résultats attendus – souvent par consensus – peuvent également générer des biais, plus ou moins conscientisés vis-à-vis d’une procédure pensée comme scientifiquement neutre.
D’autre part, l’expertise est plus facilement reconnue quand elle répond à une demande politique, plus facilement décriée quand elle produit des résultats remettant en cause un modèle dominant ou normatif. L’indépendance de l’expertise est contestable dans bien des domaines, et malgré un certain nombre de règles notamment vis-à-vis des conflits d’intérêt, elle reste très proche des sphères de pouvoir et obéit aux règles de domination du savoir. Les processus d'expertise sont contraints par un impératif de résultat: produire un avis qui puisse être directement mobilisé par la puissance publique. L'objectif sur-détermine la procédure, laissant peu d'espace à un questionnement réflexif sur le contexte de l'expertise ou le rôle de l'expert. La procédure d'expertise est encadrée par une surenchère de règles, protocoles, et codes qui laissent finalement peu de liberté scientifique à l'expert pour réfléchir au sens même de son activité. Cette expertise peut également prendre la forme d’un certain paternalisme, soulignant une dichotomie entre le sachant et le non-sachant qui creuse une fracture sociale nette, qui peut à son tour alimenter la méfiance et la perte de confiance envers l’expertise.
Par ailleurs, la précarisation de la recherche, son mode de fonctionnement de plus en plus lié au modèle économique libéral via les modes de financements ou de publications peuvent engendrer une polarisation des chercheurs vers la gestion de ressources et le management de la recherche plus que sur l’objet de la recherche lui-même. Son mode de fonctionnement souvent compétitif ne permet pas toujours d’offrir les conditions d’une expertise collective, qui devrait par nature être débattue et questionnée.
Ces modèles ont montré leurs limites. Avec les crises sanitaires et les questionnements qui en découlent, l’expertise s’ouvre sur un nouveau champ. Les savoirs expérientiels sont de plus en plus pris en compte, et le partage de savoirs s’amplifie avec les open- data. Il devient donc plus que jamais nécessaire, voire crucial de développer la pensée critique, et ce dès le plus jeune âge pour lutter contre la crise de confiance envers la science, prélude à une crise sociétale plus profonde.  

Stéphanie VANDENTORREN
Bordeaux Population Health
 

Public : Enseignant.e.s chercheurs.ses, docteur.e.s, doctorant.e.s, étudiant.e.s M2
Lieu : En distanciel (Lien Zoom : https://u-bordeaux-fr.zoom.us/j/83960992164)

Localisation de l’événement