Projet scientifique
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Alors que de nouvelles formes d’être-au-monde dessinent l’espace de demain en matière d’identités et de subjectivations, d’altérités, de rapports à l’autre et au corps, de transmissions et de générations ; alors que le paysage des inégalités se reconfigure pour laisser apparaître de nouvelles fractures et de nouvelles vulnérabilités ; alors que c’est l’inscription même de l’être humain à son écosystème qui se fissure, l’éducation se révèle l’un des enjeux majeurs des défis de demain.
Comment penser l’éducation de demain dans cette période de changements ?
Quelles figures du rapport à soi et à l’autre dessine-t-elle ? Quelle narration en dresse l’horizon ? Sur quelles expertises s’appuieront les nouvelles générations pour étayer les dispositifs éducatifs futurs ? Quels défis l’éducation de demain aura-t-elle à relever ? De quels nouveaux récits sera-t-elle le rejeton ? Comment penser ses machineries, ses dispositifs, ses méthodes, ses valeurs, ses utopies ? Quels mécanismes de pouvoirs gouverneront sa marche et sa progression ? Quelles chausse-trappes et quelles lignes de force ?... mais aussi quels types de sujets les politiques, les pratiques, les idéologies éducatives contemporaines (neuropédagogie par exemple), vont-elles construire ? Qui en sont les acteurs, à quelles institutions sont-ils rattachés, dans quelles logiques/situations sont-ils pris ?
L’équipe CeDS rassemble des chercheurs d’horizons disciplinaires divers qui, dans une perspective d’educational studies, ont pour projet commun d’apporter leur expertise sur les questions relatives à l’éducation actuelle et de demain. S’appuyant sur des études, des résultats et des méthodes qui relèvent de l’histoire de l’éducation, de la philosophie de l’éducation, de la sociologie et de l’anthropologie de l’éducation, de la didactique, de la pédagogie, de la science politique, de la santé, de la clinique de l’éducation... l’équipe CeDS se propose de mettre la science au service de la compréhension des enjeux sociétaux complexes qui se posent en matière d’éducation.
Son interdisciplinarité est sa force. Conscient que le découpage et le cloisonnement disciplinaire, héritage de la naissance des sciences humaines dans leur version moderne, ne permettent que des vues partielles des questions éducatives, structurellement complexes tant elles convoquent et réalisent la culture à une époque donnée, le laboratoire CeDS a vocation à croiser les regards et les méthodes, à inventer un langage commun notamment en se saisissant collectivement de notions et concepts clés pour travailler à cette cohésion interdisciplinaire, à envisager des publications communes, à concevoir ou intégrer des partenariats sur des programmes de recherche ayant trait aux enjeux éducatifs de demain.
L’éducation de demain sera aux prises avec des problématiques tout autant inédites que complexes, qu’il s’agisse des questions posées par le transhumanisme naissant (bionisation et cyborgisation du vivant), la virtualisation du réel, la robotisation, la dématérialisation et la déterritorialisation des corps, l’expansion d’une société de la surveillance rendue d’autant plus robuste qu’elle s’appuie sur des techniques et dispositifs numérisés de plus en plus affinés, le retour sur le devant de la scène de phénomènes naturels à fort impact sur le vivant et les rapports inter-humains (réchauffement climatique, pandémies, événements météorologiques d’envergure, pollutions, fragmentation écologique, biodiversité), l’accroissement de migrations massives de populations chassées par les catastrophes écologiques ou militaires...
Ces nouvelles problématiques reconfigurent les questions éducatives. Elles questionnent notamment la transmission intergénérationnelle, la diffusion des savoirs, l’éducation à la santé, la relation parentale, le saisissement politique des artefacts de pouvoirs et l’organisation collective de nouvelles formes de résistance, la construction identitaire face à une psychopolitique des labellisations, la prise en compte des vulnérabilités liées aux âges de la vie, aux maladies ou aux handicaps, la professionnalisation, la considération des altérités ; elles réinterrogent les relations de pouvoir (centre/périphérie), la place des institutions, mais également l’existence d’espaces alternatifs aux marges de la société, dans lesquels s’inventent des nouvelles manières de penser le monde et ses lendemains...
CeDS se positionne à l’interface de recherches fondamentales qui tentent de mettre à jour les nouveaux dispositifs éducatifs à l’oeuvre (dimension critique, dimension prospective) et de recherches appliquées qui tendent à construire des réponses sur les enjeux de société mis à l’étude (dimension recherche et développement).
Penser et construire le monde de demain se réalise par la mise en synergie de nos chercheurs sur des appels à projet, qu’ils soient portés à l’interne au sein de CeDS ou soutenus au sein du département Changes. Notre expertise en matière d’éducation, notre approche interdisciplinaire nous portent à engager des partenariats ou des associations sur des projets ciblés.
CeDS pense local pour étudier global. Mettre à l’étude les défis éducatifs liés à ces grands changements contemporains, sollicite notre équipe vers des analyses qui regardent de près des phénomènes situés, des dispositifs spécifiques, des contextes d’émergence ou d’actualisation particuliers, en prenant acte d’une non généricité de modélisation des phénomènes observés.
CeDS définit trois champs d’étude spécifiques. Ces champs s’appuient sur des études déjà menées ou en cours tout en reconfigurant les nouvelles orientations qui tentent de répondre à l’objectif assigné sur le prochain contrat : penser l’éducation de demain dans un contexte de changements techniques, sociaux, environnementaux et sociétaux propres à la « seconde modernité ».
CHAMP 1- «Sociogenèse des identités et action publique»
Ce champ d'étude émane d'une sensibilité épistémologique forte au sein de CeDS dans son mode d'approche des phénomènes sociaux et dans la manière de concevoir les rapports du langage au monde et à la culture. Il propose de mettre à l'épreuve les processus de catégorisation qui restructurent continuellement les positions auxquelles sont affectés les individus (définissant ce que l'on reconnaît alors comme leur identité), les effets des « programmes éducatifs » (au sens large) nés de ces catégorisations, les mécanismes de pouvoir (au sens foucaldien) qui donnent assis et réalité à ces catégories et à ces programmes.
Parler le monde, le décrire (ou l’expliquer), le transformer, nécessite l’usage de catégories qui le plus souvent ne sont pas interrogées dans leur fondement et dans les effets de réel que leurs usages répétés engendrent nécessairement. Songeons par exemple à l’évolution sémantico-pragmatique qu’ont connu les catégories suivantes : Dans le domaine des publics : “élève en difficulté”, “personne handicapée”, “jeune de banlieue”, “personne dépendante”, “dyscalculique”, “adulte en reprise d’études”, “décrocheur“, “immigré”… Dans le domaine des actions ou programmes : “aide”, “remédiation”, “parentalité“, “autonomisation“, “insertion“... Or les effets liés à la naturalisation de ces catégories sont loin d’être négligeables.
Ce champ de recherches se propose, par la mise en œuvre d’analyses culturelles multi niveaux (articulation micro et macrosocial – croisement d’analyses historique, sémiotique, politique, sociologique, pédagogique) :
- D’historiciser et de dénaturaliser ces catégories en montrant comment elles sont produites et diffusées par des pratiques discursives socio-historiquement construites, travaillées silencieusement et de façon masquée par les idéologies et les paradigmes dominants, régulées et pérennisées par des dispositifs réglementaires, des institutions ad hoc, des prescriptions de tous ordres, en bref par des pouvoirs qui leur donnent forme et consistance ;
- De mettre à l’étude les effets de ces mécanismes de pouvoir en termes de subjectivation et de construction de nouvelles identités avec le lot d’opportunités et de dommages que ces changements opèrent ; interroger les changements qui s’actualisent dans de nouveaux programmes éducatifs émergeant de la création de ces nouvelles catégories d’individus et ces nouvelles modalités d’action publique (« programmes de gestion du stress », « dispositifs d’insertion des mineurs non accompagnés », « programmes d’aide et de soutien aux adultes en reprise d’études », « aidant familial », « programmes personnalisés de réussite éducative »…) ;
La sociogenèse des identités constituait un axe émergent de notre précédent contrat. Des travaux ont ainsi été engagés sur les « étudiants en situation de handicap à l’université de Bordeaux « (Anjard et Roiné), sur les questions de « déviance » ou « d’incivilités » et plus largement sur la thématique de la « parentalité » (Pinsolle, 2015), dernièrement sur la compréhension des processus de transition identitaire chez les nouveaux personnels d’encadrement intermédiaire de l’Éducation Nationale (Delavergne et Mazet). Une HDR a été soutenue sur cette thématique. Partant de ces premiers travaux et premiers résultats, le prochain contrat vise à relier plus étroitement ces questions anthropologiques avec l’analyse des politiques publiques, en prenant acte du caractère central que ces dernières opèrent en matière de subjectivations et d’identités (Chopin et Sinigaglia).
De nombreuses réformes marquent l’époque actuelle en matière d’action publique (Enseignement et Formation, Santé, Insertion et Professionnalisation). Elles s’attachent à faire évoluer à la fois les modes de gouvernance des institutions ou des organisations cibles ; les pratiques professionnelles des agents ou acteurs responsables ou engagés dans ces domaines ; les publics-cible visés par ces réformes (le plus souvent, publics « vulnérables », « en difficulté », « précaires », « déviants », que l’on souhaite mieux « aider », « soutenir », « éduquer » voire « réeduquer »).
Le constat selon lequel ces politiques publiques atterrissent plutôt mal sur le terrain est récurrent et soumis à des présupposés tenaces faisant apparaître les acteurs comme réfractaires au(x) changement(s) et opposés par principe à toute réforme. Nous souhaitons interroger les liens entre :
- Les processus de diffusion des innovations descendantes ;
- Les logiques pratiques des acteurs professionnels sollicités pour mettre en œuvre les politiques déployées ;
- La réception des publics-cible de ces nouvelles orientations bio-politiques (et les contre-cultures /vs/ servitudes qu’elles engendrent) afin de comprendre ces changements, ces résistances au configurations sociales qu’elles introduisent, les nouvelles identités qui émergent.
CHAMP 2- «Pédagogies»
Comme évoqué dans le champ 1 « Sociogenèse des identités et action publique », les changements contemporains techniques, sociaux, environnementaux, sociétaux soutiennent de nouvelles formes de subjectivations qui affectent les manières de se penser et de s’identifier, de se concevoir dans sa relation à l’Autre.
En outre, les rapports à la précédence, à l’autorité et aux pouvoirs en général sont remis en question sur fond d’arrière-plans de détraditionnalisation associée à une individualisation accrue. Dans le champ de l’enseignement et de la formation, de la famille, de la citoyenneté, de la politique, les nouveaux sujets constitués en « individus » sont le plus souvent réfractaires, ou tout le moins réticents, aux formes d’injonctions ou de prescriptions « venues d’en haut », dont on critique selon les occurrences l’aspect arbitraire, technocratique, surplombant ou plus simplement, inadapté aux réalités vécues par le « monde ordinaire ». La diffusion des savoirs et des pratiques s’inscrit dans ce contexte relativement récent au regard de la modernité (seconde modernité).
Héritière de l’approche anthropo-didactique, la diffusion des savoirs et des pratiques est un thème central de l’histoire de notre équipe. Lors du dernier contrat, cette tradition a conduit à la construction de nouveaux objets dans les champs de l’éducation thérapeutique du patient, de l’éducation familiale ou de la pédagogie universitaire. Pour analyser les formes de diffusion nous examinons conjointement :
- Les logiques épistémiques des savoirs en jeu et la spécificité de leur transmission/acquisition ;
- Les logiques situationnelles dans l’épaisseur anthropologique inhérente à chaque contexte de diffusion (des Arrière-plans aux jeux d’interactions situées) ;
- Les logiques pratiques des acteurs de cette diffusion (en position de « transmetteur » ou d’élève, d’étudiant, de patient, d’usager, de « bénéficiaire » en général) ;
L’analyse culturelle des phénomènes de diffusion des savoirs que nous conduisons, nécessite de franchir une étape supplémentaire : la prise en compte des enjeux pratiques, éthiques et politiques des nouvelles modalités de diffusion dans le contexte de changements que nous décrivons.
Quels effets sur les publics produisent les dispositifs de normalisation des conduites (étudiés par l’axe 1) ?
Nous entendons « pédagogies » comme :
- Etude des dispositifs de diffusion des savoirs adaptés aux nouveaux publics ;
- Expérimentations sur les formes de dévolution conférant aux acteurs les moyens d’initiative et de créativité face aux injonctions et aux doxas du moment ;
- Réflexions sur la question des finalités et des effets politiques, éthiques ou pratiques des dispositifs mis en œuvre.
Qu’il s’agisse des décideurs, des enseignants ou formateurs, des éducateurs dans les champs de la santé, de l’insertion, de l’aide sanitaire et sociale, de la famille, de la culture, ou encore des divers publics à qui s’adressent des programmes mettant en œuvre l’acquisition de savoirs ou de pratiques, nous devons penser tout à la fois :
- L’instrumentalisation faite du terme de pédagogie pour la mise en place de dispositifs de normalisation tant par des individus que des institutions ;
- Une ou des pédagogies susceptibles d’éclairer les enjeux inhérents aux nouvelles modalités de diffusion ou d’acquisition (songeons par exemple au e.learning, au réseaux de partage de savoirs, à l’automatisation ou la robotisation dans les secteurs de la formation, etc).
CHAMP 3- «Emergence et diffusion des pratiques culturelles»
Considérant la culture, dans la lignée des deux premiers champs, comme une construction incessante des sociétés, ce troisième champ s’intéresse au fait qu’elle corresponde à l'ensemble des traits caractéristiques (spirituels et matériels, intellectuels et affectifs) d'un groupe social dans des espaces-temps donnés (générateurs de façon de penser et de se positionner dans l’espace social). Elle concerne, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs et les symboles, les traditions et les croyances.
Clairement travaillée dans le champ 1 (la culture se trouve en outre au centre des débats contemporains sur l'identité ou la cohésion sociale), elle relève, comme le champ 2, d'une économie de la connaissance (liée à la constitution de façons communes de penser, de sentir ou d’agir), de savoirs (lorsqu’elle produit un ensemble de désignations des dites façons), et nécessite un travail institutionnel puissant, formel ou informel, pour être diffusée.
Les travaux menés depuis cinq ans sur cet axe ont montré sa fécondité. Celle-ci est loin d’être épuisée.
Outre les travaux au sein de l'équipe, des recherches plus collectives portées respectivement par le professeur Luc Robène (sur la contre-culture : histoire de la scène punk en France ; création artistique en résistance ; place et rôle des marges dans la manière de penser le monde de demain) et la professeure Marie-Pierre Chopin (sur l’éducation artistique et culturelle), ont en effet commencé à déployer leurs effets au cours de deux dernières années, débouchant sur plusieurs projets financés, et nourrissant des collaborations importantes avec d’autres équipes de recherche au plan national (UMR 7172 THALIM - CNRS/ENS/U-Paris 3, UMR 7323 CESR CNRS/ U-Tours/Ministère de la culture, UMR Sage de l’université de Strasbourg, Laboratoire ECP de l’université de Lyon), renforçant la perspective pluridisciplinaire sur laquelle s’était fondé cet axe (sciences de l’ éducation et de la formation, histoire, anthropologie, sociologie, philosophie).
Des séminaires ont été conçus en partenariats avec des institutions prestigieuses (Luc Robène : Séminaire « Underground » à l’EHESS ; séminaire « Histoire culturelle du corps » à l’Ecole polytechnique ; séminaire « Arts et corporéités » à l’École nationale des chartes).
La diffusion de ces travaux autant que leur couverture médiatique (France culture, Arte, presse quotidienne, etc.) assurent à ces recherches une visibilité importante. Concernant les recherches menées par Marie-Pierre Chopin sur l’éducation artistique, l’ouverture marquée vers le domaine de la science politique est l’une des avancées devant être poursuivie, renouant là encore les travaux menés dans le champ 1 en termes d’action publique dans les mondes de la culture. La restructuration de cet ancien axe en champ marque l’importance de disposer d’un espace plus large, réunissant un ensemble épais de travaux en cours ou émergents sur les mondes de la culture et des contre-cultures, mais aussi dédiés à des pratiques culturelles autres : liées aux pratiques d’éducation parentales par exemple (travaux de Julie Pinsolle), aux nouvelles formes d’organisation de la cité (projet en cours porté par Sylvain Bordiec et Julie Pinsolle), mais aussi à la reconfiguration des pratiques de soin dans les mondes de la santé (elles-mêmes chevillées à des pratiques alimentaires ou sportives en forte évolution).
Les travaux réunis dans ce champ auront un intérêt commun pour deux problématiques :
- Celle des processus de légitimation (sociale, politique, scientifique, institutionnelle) des pratiques culturelles incluant l’approche critique de la construction des catégories (lien avec le champ 1) marquant les systèmes d’opposition auxquels se réfèrent les discours politiques, savants, académiques, médiatiques (culture et contre-culture, culture mainstream / culture underground, culture savante et culture populaire, culture de masse et culture des élites, cultures dominantes et cultures alternatives ou cultures des marges)
- Celle des processus de transmission (au sens du leg ou de l’héritage) de productions circonstantielles (émergeant dans des espaces-temps donnés), mais dont la stabilisation ou la disparition participent historiquement, en cristallisant les systèmes de valeurs des groupes, des institutions, du pouvoir, à organiser le social et à structurer l’économie des biens symboliques.